A quelques pas de la Porte, Lilo était née à la Charité, si connue, et c'est près de là que je la rencontrai pour la première fois , avec ses vingt et un ans, sure d'elle, gaie et séduisante en diable.
Lilo devint mon 'équipier' le plus fidèle et le plus courageux quand, après l'enfer de la guerre, le monde que j'avais connu dans ma jeunesse et ma foi en lui furent bouleversés. Ensemble, avec nos deux enfants, Ingrid et ses cheveux blonds et sa petite soeur Jutta née en 1944, nous avons commençé à construire notre petit univers. La nourriture était rare, mais nous ne fûmes jamais affamés. Lilo faisait la tournée des villages alentour pour troquer de la nourriture: mes vieilles bottes de vol furent échangées contre un petit sac de farine, mes gants fourrés contre quelques kilos de viande, du thé contre du lard. Tout ce dont nous pouvions nous passer dans la maison était échangé contre des aliments. Elle troquait et marchandait comme si elle avait apprit cet art dans un bazar oriental. Les hivers étaient rudes, mais nous n'eumes pas froid. Nous allions avec une vieille charette en feraille jusqu'a un bois voisin des limites de mon ancien aérodrome, et là nous manions la hache la scie et ramassions du bois quand nous ne piquions pas le charbon destiné aux forces occupantes. Nous avons eu des problèmes pour vétir les enfants, mais Lilo les a résolus. Avec de l'imagination et de la dextérité elle maniait le crochet et faisait des pullovers rutillants avec de vieux lainages, tricotait de jolies petites robes, cousait chemisiers et culottes avec des pièces de vieux tissus. L'argent manquait aussi pour le ménage. Il n'y avait ni 'pont d'or' ni pension pour les officiers à la retraite d'une armée vaincue. Je n'avais pas été accoutumé à quelque activité civile que ce soit, et mes blessures de guerre était un handicap dans mes recherches pour un boulot. Je ne pouvais marcher qu'avec une canne...
...L'Allemagne s'est relevée. Celà a aidé ma famille. Elle s'est installée, a construit sa maison. Son petit univers resta intact. Lilo veillant sur lui, et assurant sa cohésion. Elle était son centre, et le resta, même quand nos filles se marièrent et que nos quatre petits enfants naquirent, et aujourd'hui encore alors qu'ils sont dispersés aux quatre coins du monde. Quand je me suis retiré des affaires, il y a au moins cinq ans, j'ai commençé des études en littérature et en philosophie à l'Université d'Osnabrück, et mon rêve, si longtemps caressé, est devenu réalité. Aujourd'hui, au seuil de la vieillesse, il reste le besoin de donner un sens au reste de sa vie, d'établir un dialogue avec soi même, d'être son propre juge, pour reconnaître ses responsabilités et les accepter, tant pour ce qui a été que pour ce qui reste à venir."
- - - Un grand merci à Jutta, Dieter, Susanne et Christiane pour leur gentillesse - - - |